Quand on a vu l'affiche du film, on a sérieusement cru qu'Alain Chabat avait décidé d'adapter la vie de la rédaction de Tribaal au cinéma... Le visionnage du-dit métrage nous conforta dans l'idée d'un pompage éhonté de notre quotidien : jeux de mots atterrants, vannes foirées, un espèce de sous-propos que personne ne comprend… Tout concordait ! Et puis, finalement, quand on en a voulu traîner Chabat en justice, on nous a rétorqué que toute ressemblance avec des personnages existant ou ayant existé ne serait que pure coïncidence... Mouais, on nous la fait pas…


En avril 1997, un groupe de touristes japonais s'est retrouve bloqué dans une station d'épuration de St Julien Molin-Molette, pendant quarante-huit jours, la faute à la négligence d'un gardien peu zélé. Contraints de manger des déjections, les corps des nippons se sont finalement adaptés : ils ont fini par excrété des sushis. Libéré par une journaliste ambitieuse qui enquêtait sur les dérives sexuels du PDG de la station d'épuration, le groupe de touristes japonais devient très vite la coqueluche des médias, avant de disparaître dans un suicide collectif à base de laxatifs.
Ce film ne raconte pas leur histoire.


"La survie vaut vraiment la peine d'être survécue..."
Pierre

LES COPAINS ABHORRENT
Ca ne vous est jamais arrivé de sortir de la salle de ciné, de vous tourner vers vos amis et de leur dire : "C'était bien, hein ?" et de récolter des regards noirs. "Non ?… vous avez pas aimé ?" Expérience difficile, si il en est que je ne souhaite à personne. Le cercle de vos amis se referme et vous exclut, vous vous sentez isolé, et pendant que les personnes que vous aimez le plus au monde font l'étal des défauts du métrage préalablement visionné, et répètent en boucle à quel point "c'était long/chiant/lourd/raté" (y a pas à rayer la mention inutile, tout y passe), pendant ce temps là, ben vous ruminez dans votre coin : "n'empêche que moi, et ben d'abord, j'ai bien aimé"

Ca m'est arrivé pour HERO - j'ai encore droit à des remarques du style "t'accompagner au ciné ? d'accord, mais si c'est aussi pourri que HERO, tu auras de mes nouvelles" -, ça s'est reproduit tout récemment pour RRRrrrr !!!
Désormais, j'ai décidé d'aller seul au cinéma, pour ne plus vivre de moments aussi pénibles.

Alors, RRRrrrr !!!, c'est quoi ? Un rugissement sonore ? Un grognement tribal ? Un feulement sensuel ?

Vous n'y êtes pas du tout. RRRrrr !!!, c'est le bruit que fait Dr Marlowe quand sa sœur vient lui emprunter des DVD. Les droits de l'autobiographie de mon collègue - "Ma vie, mon œuvRRRrrrre", 7, 50 euros dans toutes les bonnes libraires - ayant été rachetés par le Sieur Alain Chabat, voilà donc l'adaptation live de la vie de notre rédacteur bourru favori dans son habitat naturel, le Larzac.
Passé l'épreuve de la réservation du ticket - "-Une place pour Roaaargrrrr, s'il-vous-plaît… -Pardon ? -Breuaaarg… -Quel film ? -Rrraachrbrooaaagreuaaa-touss-touss ! -Ca ne va pas, monsieur ? Vous voulez un verre d'eau ? -(soupir) Le film avec des abrutis fringués en peaux de mammouth… -Ha, vous voulez parler de RRRrrrr !!! 6, 50 euros, monsieur. En salle 1." - vous voilà le cul bien enfoncé dans un fauteuil, la lumière s'éteignant.

DE SHERWOOD AU LARZAC
Et les Robins débarquent. Qui sont les Robins ? Des trublions, agités du cervelet, des guignols qui firent, jadis, leurs preuves sur Comédie, avant de mettre en scène " La cape et l'épée " sur Canal +...
Les Robins, c'est (de gauche à droite, photo plus bas) :
-Jean-Paul Rouve : excellent acteur au demeurant, césarisé pour le mignon tout plein Monsieur Batignole. Ici, dans le rôle du premier shérif de l'Humanité, une blonde platine qui va tenter, en parallèle de son enquête, de percer le secret de ses origines, tel un Wolverine peroxydé et rachitique.
-Pef Martin-Laval : mari volage d'Isabelle Nanty dans l'excellent Le bison (et sa voisine Dorine), ici en amoureux, vrai transi mais faux frisé.
-Marina Foïs : fille perdue, cheveux sales. Fidèle à son personnage de bêcheuse désabusée. Une actrice qu'on aime beaucoup, à la rédac'. Hein… Dites, les gars… Non ? Bon. Une actrice que j'aime beaucoup moi tout seul.
-Maurice Barthélémy : le chef de tribu, auteur et acteur de la série de sketch "Faut-il… ?" sur Canal +, spécialiste de l'humour caustique. Le prototype du mec ignoble. On attend de le voir dans un autre registre pour connaître sa palette de jeu… reste pas moins qu'en enfoiré, il est très convaincant.
-Elise Larnicol : légèrement sous-exploité puisque réduite au rang de potiche -un rôle quasi muet-, objet de tous les fantasmes de ses compagnons cromagnons… et si vous ne la trouvez pas belle, c'est que vous n'avez jamais rencontré la sœur de Dr Marlowe.
-Pascal Vincent : témoin dans le film, suisse dans la vie. N'en reste pas moins un bon acteur… (n'y voyez aucune helvéticophobie là-dedans, hein).


Les Robins débarquent, donc, dans un maelström de jeux de mots vaseux aux côtés desquels les miens font pâle figure - vous remarquerez quand même, au passage, que je me suis bien calmé sur les jeux de mots, ces temps-ci -, dans une tornade de situations absurdes, dans un cyclone d'anachronismes bien secoués, devant la caméra d'un ex-NUL.
Et là, soit :
1°) vous vous gondolez bêtement, comme un con, sur votre fauteuil, et votre voisine vous dévisage avec des yeux ronds ;
2°) vous n'êtes pas réceptifs, mais alors pas du tout, à l'humour de ces guignols, vous trouvez ça pathétique (celui qui vous a emmené voir ça va vous entendre, à la sortie, ça oui !) et vous piquez un somme aussi sec devant tant d'âneries ;
3°) vous êtes japonais, vous ne comprenez rien au film mais ça vaut toujours mieux que la station d'épuration dans laquelle vous êtes resté cloîtré quarante-huit jours pendant vos dernières vacances en France.
C'est ça l'effet Robins des Bois : on aime ou pas. Mea culpa, mais votre serviteur, ça le fait quand même doucement gondoler. On était pas nombreux à se marrer, dans la salle, d'ailleurs, maintenant que j'y pense.

MONTY PITEUX
Je comprend tout à fait qu'on puisse ne pas être réceptif à l'humour des Robins. Un humour particulier, il est vrai, puisque basé sur les détournements du langage, la polysémie du vocabulaire et les doubles sens, avec une propension à faire sourire avec des jeux de mots d'une subtilité toute relative.

Bref, de cet humour qu'on pratique tous entre amis - non ? ha bon… bon, ben, les copains, je crois bien qu'on est les seuls… -.
A ce titre, RRRrrrr !!! est probablement un film qui s'exportera très mal à l'étranger, tant l'humour s'appuie sur la base même de notre langue française.
Mais pas seulement, puisqu'ici, le comique naît également des réactions tout à fait disproportionnées des personnages dans un certain contexte, aux antipodes de celles qu'on attend d'êtres humains normaux. Humour qui, finalement, n'a rien à envier à celui des Monty Python [je vais me faire des ennemis en disant ça], même si ces derniers n'en demeurent pas moins les maîtres en la matière [ouf, j'ai rattrapé le coup]

Aux antipodes, l'humour du mettre-d'oeuvre Alain Chabat est nettement plus visuel -avec des clins d'œil aux dessins animés de Chuck Jones, mais aussi aux slapsticks- et, tant qu'on y est dans la comparaison Robins/Monty, fait davantage penser à celui d'un Terry Gilliam : plus imagé et qui ne va pas de pair sans une énorme part de rêve, d'imagination et de spectacle. Mission : Cléopatre en était une preuve éclatante, préfigurée par le peplum grandiloquent des Nuls, "Tarama et les mines du Roi Saumon" et son inoubliable travelling d'ouverture. [NDLR : quel travelling d'ouverture ?] Bon, d'accord, peut-être pas si inoubliable que ça.

Un Chabat qui endosse donc ici une double casquette.
Chabat acteur, dans les frusques d'un guérissologue bien secoué et revanchard. Un Mel Brooks de Néanderthal dont chaque apparition confine au poilage total (mais alors, vraiment total) et qui nous rappelle à quel point les Nuls nous manquent…
Entre parenthèses, quand, bloqué dans un trou, il te sort : "faudra d'abord m'attraper !" et qu'il commence à courir, en tournant en rond, j'étais effondré. Et quand vingt secondes plus tard, tu l'entends dire : "tiens, je suis déjà passé par là", je frisais la syncope. Tiens, rien que d'y repenser, ça me fait marrer.
Qu'il est con, ce Chabat.

Mais aussi, et surtout, Chabat réalisateur, berger bienveillant qui veille sur son troupeau de Robins et, de derrière sa caméra, les rappelle à l'ordre quand ça commence à partir en couilles (ce qui est assez fréquent, avouons le), pour que ses brebis ne s'écartent pas du sujet qui les concernent. A savoir le premier crime de l'humanité (dont il est dommage qu'on connaisse le coupable dès le début) et la guerre entre la tribu des cheveux sales contre celle des cheveux propres. Deux intrigues parallèles, dont on sera en droit de préférer la première, nettement plus gondolante, à la seconde, postulat de départ faiblard (pas pire que mes chinois bloqués dans leur station d'épuration, vous me direz), et qui sent bon le sponsor marketing des laboratoires Garnier - remarque, l'initiative promo est originale.
Des fils conducteurs qui manquaient cruellement à la pièce des Robins, "Les Robins des bois d'à peu près Alexandre Dumas", où là, c'était la fête du slibbard du lever de rideau au baisser de pantalon. Alors que ceux qui disent que au point de vue scénar', RRRrrrr !!!, c'est le Néant(dertal), je leur réponds qu'ils ne savent pas à quoi ils ont échappé.

Ils peuvent d'ores et déjà remercier l'ami Chabat d'avoir contenu la petite troupe.

ALL THAT ZAZ
Ajouter à ça des petits écarts parodiques (dont on ne sait si l'honneur en revient aux Robins ou à Chabat), en guise de clins d'œil aux cinéphiles et aux cinéphages -le très chauvesque Maurice Barthélémy qu'un choc crânien transforme en Marlon Brando, période Apocalypse Now- et vous obtenez de quoi vous poiler pendant de longues heures.
D'ailleurs, c'est un humour qui marche sur une longue durée. Deux jours après, je me tenais les côtes sous la douche en repensant à telle ou telle réplique.
[quoi ? ha, on m'annonce que c'est moi qui suis con. Autant pour moi, j'avais oublié]

Et puis, comme toute bonne comédie, RRRrrrr !!! charrie son lot de répliques cultes… Au-delà du leitmotiv "-Ca va faire tout noir. -Ta gueule" (pas le plus fendant du film, remarque), on citera, entre autres : "Chauve et lâche, ça fait beaucoup pour un seul homme." ; "Je ne douche jamais le premier soir." ; "-Tu veux une cloque ? -Non, j'essaie d'arrêter." ; "On fait une descente au village et on arrête tous les mecs qui étaient de dos hier soir…" et caetera, et caetera… La liste n'est pas exhaustive -des perles comme ça, y en a une douzaine par minutes- mais ces quelques saillies restent longtemps gravées dans la mémoire du spectateur conquis - même si , sorties de leur contexte, elles ne prêtent peut-être pas franchement à la rigolade.

Côté acteurs, on a droit également à une plétore de guest-stars, comme le veut la coutume. Mention spéciale à Valérie Lemercier en professeur de guitare-couture -par ailleurs une des trouvailles les plus décalées du film-, qui avait déjà prouve ses affinités avec l'humour Canal (remember le sketch des Nuls : "L'école du fan", grand moment de télévision). Joey Starr manie du gourdin avec tellement d'aisance qu'on dirait qu'il a fait ça toute sa vie, Dominique Farrugia joue les boutiquiers ("Avez-vous récemment vendu un gourdin à une couturière ? -Non. -D'accord. Au revoir."). Jean Rochefort s'est fait avoir, on lui a refilé les vannes les plus minables du film (m'enfin, le coup de l'auto-prise d'otage est assez gondolant). Depardieu, ben, bon, c'est Depardieu, quoi. Voilà, sinon, le chimpanzé joue très bien. J'aimerais bien qu'il gagne un césar. Cela dit, bon, je ne me fais pas trop d'illusions…

Enfin, aux monstres en dessins animés de Sacré Graal ont succédé des dinosaures en images de synthèse - très laides, les images de synthèse… Quitte à faire dans le kitch, pour ces quelques apparitions, on aurait préféré de l'animation en stop-motion, à la Ray Harryhausen, histoire de placer un dernier hommage… M'enfin, on peut pas tout avoir.

DEFAUTS (mais des vrais, hein)
Alors d'accord, le film souffre de quelques carences de rythme et d'une fin qui traîne en longueur et tombe dans le piège du happy-end pas excessivement poilant. On notera aussi pas mal de gags qui tombent à plat… Mais toute comédie traîne son lot de vannes foirées (à l'exception de La Cité de la Peur, peut-être, modèle de rythme et d'humour) et RRRrrrr !!! ne fait pas exception à la règle...
Il n'empêche que la moitié de ceux qui reprocheront à l'humour des Robins d'être lourd, ce sont les mêmes qui se gondolent devant Scary Movie, Austin Powers. Loin de moi l'idée de descendre de leur piédestal ces deux sagas légendaires (enfin, légendaires, bon, tout est relatif) mais soyons francs, les Wayans et Mike Myers, c'est quand même pas des modèles de finesse… Faut pas pousser les gars, si vous n'aimez pas, n'en dégoûtez pas les autres !

En guise de conclusion : l'addition de l'humour verbal des voleurs de Sherwood et de celui, davantage visuel, du grand Nul, ne pouvait que donner des étincelles (car qu'est-ce que le cinéma sinon l'addition du son et de l'image ?). C'est chose faite sur grand écran avec cette comédie tour à tour décalée, burlesque, cocasse, loufoque [NDLR : c'est bien, Diez, tu viens d'apprendre à utiliser le dictionnaire des synonymes…], lunaire, pathétique, atterrante, mais surtout, profondément fendante !
Si succès public il y a, ce sera mérité. Et tant pis pour la critique…
Ca va faire tout drôle… TA GUEULE !!!
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* les Robins + Chabat = RRRrrrrigolade
* des trouvailles anthologiques
* des répliques cultes


* le Parisien
* la fin se traîne en longueur
* pas mal de gags foirés
* les SFX craignent (remarque, on est pas venu là pour ça)


...les Robins, déjà, c'est le minimum. Après, si vous aimez Chabat, vous serez aux anges. Chuck Jones, aussi, Tex Avery, tant qu'on y est, les Monty Python, les Pierrafeux, Mel Brooks et Alexandre Dumas, alors n'allez pas voir GROooaaAR : allez voir RRRrrrr !!! (c'est nettement mieux)


Vos zygomatiques ont trouvé leurs ennemis jurés, les Monty Python leur relève.
N'en déplaisent à certains (à tout le monde ?), cette comédie préhistorique est poilante à souhait, n'ayons pas peur des mots. Comme dit Le Parisien : c'est "NUL !!!"… certes, mais c'est tellement bon.

15/20


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RRRrrrr !!!
Film français (2003). Comédie. Durée : 1h 38mn. Date de sortie : 28 Janvier 2004

Réalisation, production, distribution
Réalisateur : Alain Chabat
Scénariste : Alain Chabat, Jean-Paul Rouve, Maurice Barthélémy, Pierre-François Martin Laval, Marina Foïs
Producteur : Alain Chabat
Production : Chez Wam, StudioCanal, TF1 Films Production, Les Robin des Bois Airlines
Distribution : Mars Distribution

Acteur(s)
Maurice Barthélémy : Pierre, le chef
Jean-Paul Rouve : Pierre, le blond
Pierre-François Martin Laval : Pierre, la touffe
Marina Foïs : Guy
Elise Larnicol : Pierre, la femme du chef
Pascal Vincent : Pierre, le préveneur de nuit
Edith Le Merdy : Pierre, la maman du blond
Sebastien Thiery : Pierre, le fouillologue
Joey Starr : l'essayeur de gourdins
Alain Chabat : Pierre, le guérissologue
Gérard Depardieu : le chef des Cheveux Sales
Jean Rochefort : Lucie
Juliette Poissonnier : Pierre, la gardeuse
Gilles David : Pierre, le trop grand 1
Jean-Paul Bonnaire : Pierre, le trop grand 2
Damien Jouillerotle : piégeur 1
Samir Guesmile : piégeur 2
Valérie Lemercier : Pierre, la prof de guitare-couture

Equipe Technique
Compositeur : Frédéric Talgorn
Ingénieur du son : Pierre Excoffier, Thierry Lebon
Costumier : Olivier Beriot
Chef décorateur : Maamar, Ech Cheikh
Producteur exécutif : Patrick Bordier
Chef monteur : Juliette Welfling
Mixage : Thierry Lebon