Après
six ans d'absence, le bouillonnant et survital Emir Kusturica nous
livre à Cannes et dans toute la France son dernier film,
boule d'énergie burlesque
au rythme endiablé, mais également, film poétique
et lyrique, qui relate la rencontre et l'histoire d'amour touchante
entre un serbe et une musulmane bosniaque lors de la dernière
guerre des Balkans.
Dès les
premières images, on reconnaît l'univers loufoque et
excentrique du cinéaste, ou plutôt, on est d'emblée
plongé dans un immense chaos tragicomique, où se côtoient
toutes sortes de personnages, plus décalés les uns
que les autres, mais comme dans toute "marmite bosniaque",
on sait que cela a d'autant plus de goût que le mélange
est aléatoire et bordélique ! Ainsi, la ménagerie
humaine est bien sûr accompagnée de bestiaux à
plumes et à poil, tout autant humains et ingérables
que leurs compagnons à deux pattes (mention spéciale
au chat hypnotiseur et bouffeur de tartines, et à l'ânesse
dépressive !). Et dans cette hystérie collective où
se côtoient comme d'hab, des personnages "haut en couleurs"
(du mafieux cocaïné au postier débonnaire, en
passant par une
chanteuse d'opérette complètement déglinguée
- magnifique Jadranka/Vesna Trivalic !), le spectateur retrouve
ses marques et se dit que le cirque kusturicien est décidemment
bien en marche et bien en forme !
L'histoire -
car parlons en quand même de l'histoire, même si certains
la trouvent anecdotique - est à l'image de Kusturica. Porteuse
tout à la fois de modernité et d'un très fort
poids du passé, et surtout emmurée dans des contradictions
difficiles à vivre. Et donc forcément contrariée.
Innocente et cruelle. Et aussi intemporelle. La rencontre entre
deux personnages que tout sépare, sur fond de guerre fratricide.
L'histoire de "Roméo et Juliette" à
la mode balkanique comme on a pu le lire dans la presse. Et cette
histoire d'amour
romanesque, lyrique et pourtant sans pathos, tendre et poétique,
à l'image de ces deux protagonistes qui, par moments, font
penser à des enfants, a décidemment inspiré
Kusturica, avec des scènes magiques et poétiques,
où plane le fantôme de Chagall et où le temps
est alors comme ralenti, tout cela étant magnifiquement sublimé
par la très belle photo de Michel Amathieu.
L'actrice Natasa
Solac qui joue d'ailleurs le rôle de Sabaha est très
expressive, tout en charme et présence, passant du rire aux
larmes avec aisance. Instinctive, vibrante, émotionnelle,
et pourtant pudique. Et le couple qu'elle compose avec Milos, interprété
par Slavko Stimac, qui n'est pourtant pas un sex symbol, bien loin
en tout cas des standards hollywoodiens botoxicés, est terriblement
émouvant ! Et un bol d'air très rafraîchissant
par les temps qui courent !
Certes, le côté
surexcité de tout ce beau monde est parfois un peu "too
much", et les émotions et la survitalité
apparente de tous ces personnages un peu trop forcées mais
après tout, on est en terrain "slave", où
il y a parfois "une terrible proximité entre la haine
et l'amour", où tout est fait et agi à l'excès,
probablement pour mieux se sentir en vie ! Mais ici, contrairement
à son précédent film Chat noir, chat blanc
où le burlesque l'emportait sur toute la ligne, Kusturica
a renoué avec une veine sentimentalo-poétique qui
nous avait tant touchés dans Le temps des gitans ou
Papa est en voyage
d'affaires. Une veine également poétique, tendre
et bien sûr onirique,
derrière ce foutoir débridé (parce que, "La
vitesse et les sentiments, c'est aussi important !"). Et
une veine aussi plus optimiste qu'à l'habitude (parce que
"Le cinéma, ça doit être plus grand
que la vie !").
Alors, même
si La vie est un miracle n'a pas l'ampleur d'un Underground,
la magie mélancolique d'un Arizona dream ou d'un Temps
des gitans, ce film est déjà un miracle en soi,
qui nous fait rire et rêver, qui nous émerveille et
nous enchante, nous énergise et nous survitamine ! Et donc
un film à ne surtout pas manquer !
Paracelse
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