"Golgotha
est ce démon tapi entre mes entrailles
comme l'alien dans
le ventre du lieutenant Ripley"
Seth
"Tu
veux vraiment faire une page pour Golgotha ?" Marlowe me lorgne
d'un il dubitatif. Et pourquoi pas. Certes, Golgotha a été
scénarisé en une soirée, tourné en quatre
jours, monté en deux semaines, pour respecter la date butoir
d'un concours de court-métrage, certes, Marlowe déteste
ouvertement le film (" philosophie de bazar, acteur de merde "
se plaît-il à répéter souvent
c'est
vrai que pour le césar de la révélation de l'année,
on repassera), mais ça n'en reste pas moins un court-métrage
produit par Tribaal Films, et qui a donc sa place entre La dernière
danse des matriochkas et Le dogme du bon sens. Et contrairement à
ces deux chef-d'uvres impérissables (ha ha ha), Golgotha
sera bien visible sur la toile, ce qui, convenons-en, constitue un grand
pas en avant dans l'histoire de notre maison de production. Et puis,
l'histoire du tournage n'est pas des plus banales et mérite qu'on
s'y attarde
Tout
commence avec ce concours de court-métrage, organisé sur
Allociné, avec pour thème une confession téléphonique.
Le concours est lancé en janvier, le film à rendre pour
le 15 août. Marlowe et moi planchâmes (oui, je passe au
passé simple, si ça me chante) avec ardeur sur le sujet,
nous triturâmes l'encéphale, pour finalement aboutir à
heu, que dalle. Deux, trois idées à la con, basta. Le
temps passa, on oublia l'évènement, et chantâmes
comme la cigale le bonheur d'être en vie et de glandouiller sauvagement.
[à
partir de là, là je parle de moi à la 3e personne,
ça sera moins douloureux]
L'échéance approchant, on n'avait guère plus de
pitch qu'au départ, et on songeait à abandonner, comme
les gros lâches que nous sommes. C'est alors qu'un incident pour
le moins insolite advint : Diez se fit jeter comme un malpropre par
sa belle, ce qui le plongea dans un état de spleen carabiné,
et le poussa à rester prostré devant son petit PC, à
accumuler sa rancur, à grignoter sa rancune, et à
finalement pondre un scénario révélateur de ses
obsessions névrotiques et de son profond désoeuvrement.
Golgotha était né, comme dirait l'autre.
CRUCI-FICTION
Diez accoucha
donc d'un scénario très proche des angoisses de Stephen
King, puisque mettant en scène un écrivain (Diez) et son
double maléfique de papier (Diez aussi), mais surtout un scénario
prétexte à une introspection nombriliste et désespérée
puisque, pour l'anecdote, le scribouillard en question hérita
du pseudonyme que Diez se donne souvent quand il pique sa crise, histoire
de brouiller encore davantage la frontière entre le réel
et la fiction. Vous suivez plus ? Ben, j'avoue que là, moi aussi
j'ai un peu de mal. Baste, poursuivons.
Mais
également un scénario propice pour mettre en avant deux
thématiques chères à notre auteur, à savoir
les fameuses " pensées obscures " dont se nourrit le
film (et qui devaient vraisemblablement traverser fréquemment
notre malheureux scénariste), et la théorie des plates-formes,
plus brièvement abordée dans le métrage, mais non
moins intéressante.
Entre
deux obsessions compulsives, Diez en profite pour caser sa petite confession
téléphonique, histoire de se rattacher au sujet du concours
(complètement hors sujet, soit dit en passant), et inonde son
récit de dialogues pseudo-matrixiens sur la réalité,
d'un sophisme aberrant, de répliques imprononçables, et
de références assumés à des classiques comme
Fight Club, Taxi Driver, Reservoir Dogs, Alien, la saga Matrix, Donnie
Darko... Tout ça en 15 min, oui. C'est plus des clins d'il,
c'est du Tarantino compressé en format MPEG.
Le
scénario est terminé et prend la poussière dans
un tiroir (dans un disque-dur, si il faut dire les choses bien clair).
Entre temps, Diez, qui a réussi à retrouver les faveurs
de sa belle, s'empresse d'oublier ses scribouillages dépressifs
de frustré. Les vacances approchent, l'échéance
aussi. Toute l'équipe d'acteurs se barre en vacances. Marlowe
part se dorer la pillule à Aigues-Mortes (?). Diez se retrouve
sans co-real.
"Où
vous en êtes ?" demandent les organisateurs du concours.
Diez décide de débrancher son modem. Marlowe revient d'Aigues-Mortes.
Retranscription (au mot près) d'une conversation MSN entre les
deux réalisateurs :
"DIEZ : wé, tu m'étonnes
au fait, faudrait
peut-être qu'on le torche, ce court-métrage, non ?
MARLOWE : gué ?
DIEZ : pour le concours
MARLOWE : ha wé
DIEZ : sinon on peut abandonner tout de suite
c'est plus rapide
MARLOWE : wé mais c'est moins marrant"
Pas besoin d'en dire plus, les gaillards se lancent dans l'aventure,
entraînant avec eux Clément Faure, le compositeur officiel
de Tribaal Films qui, pour l'occasion, endosse le rôle de doublure
de Diez (pour les plans où l'écrivain se retrouve face
à son double maléfique).
Le tournage peut commencer, et s'étendra sur quatre jours
CHEMIN DE CROIX
Le tournage commence. Pris de crise de dépression aiguë,
Marlowe passe la moitié du tournage vautré sur le carrelage,
comme une belle grosse loque humaine. De son côté, Diez
a un mal fou à retenir les répliques les plus simples
(par contre, c'est le seul qui parvient à déblatérer
ses tirades philo sans trébucher sur les mots
chacun ses
contradictions). Il accumule les lapsus et rallonge considérablement
les journées de tournage par des bourdes incessantes
Après
un jour de tournage, l'équipe technique rêve déjà
unanimement d'agrafer ses testicules sur ses feuilles de dialogue.
Le tournage est ponctué d'incidents étranges. Un téléphone
débranché et complètement brisé - que Diez
jette une demi-douzaine de fois à travers la pièce pour
les besoins de la prise - se met à sonner en pleine nuit. On
vous laisse faire le parallèle avec la scène d'intro du
film quand vous l'aurez vu, ça fait flipper (enfin, ça
a fait flipper Diez, quoi
le temps qu'il se rende compte que le
phone était bloqué sur le mode réveil-matin). De
même, la nuit du 2e jour de tournage, le frère de Diez,
régulièrement sujet à des crises de terreurs nocturnes,
réveille toute la maisonnée en poussant une gueulante
dantesque. Il rêvait qu'il s'étranglait. Là encore,
je vous laisse faire le parallèle. Le troisième jour de
tournage, Diez débarque, le visage livide¸ les yeux cernés.
" Houla, toi t'as pas bien dormi. " " Mrgrmbrlf "
fut sa seule réponse.
Mais le pire est à venir. Est-ce parce qu'il manquait effectivement
de sommeil ? Est-ce parce que la frontière entre la réalité
et la fiction s'étaient réellement brouiller dans son
esprit ? Qu'est-ce qui a bien pu conduire à cet évènement
abominable ? Mais gare, n'y allons pas trop vite en besogne. Troisième
jour, donc. On tourne la scène où Seth (Diez) se fait
étrangler par Golgotha (Clément, doublure). Diez doit
empoigner un scalpel et faire mine de frapper son agresseur sur le pectoral
droite. Et là, c'est le drame. Ce con de Diez, alors qu'il se
fait bien gentiment strangulé par sa doublure, chope le scalpel
et poignarde réellement Clément. Oui, tu as bien lu. Clément
se prend 2 bons millimètres de lame dans le poitrail mais, en
bon professionnel, attend la fin de la prise pour lâcher un timide
: " Diez, je crois bien que tu m'as touché. " Petite
vérification express, effectivement, le gaillard perd son sang
(il s'est même excusé d'avoir tâché le costume
une fois remis sur pied). Deux trois pansements plus tard, Diez se confond
en excuses (" c'est le film, toute cette pression "). Clément
apprend qu'il ne pourra plus jamais jouer de la guitare (nan, je déconne).
Les rushes sont en boîte, c'est l'heure de monter tout ce bordel.
Diez gaspille toutes les soirées de ses vacances à monter
le métrage (sa haine pour le film doit remonter à peu
près à cette époque), à affronter un virus
hargneux et à mater les bugs du logiciel, bugs qui pousseront
bientôt nos deux réalisateurs à transvaser tous
les fichiers sur l'ordinateur de Marlowe, un après-midi orageux.
A croire que les compères avaient mal choisi leur jour, un coup
de tonnerre fait sauter les plombs, les opérations de transfert
sur le disque dur de Marlowe sont interrompues aussi secs.
Marlowe et Diez commencent à se demander si le film n'est pas
effectivement maudit. Finalement, le film parvient jusqu'à l'ordi
de Marlowe, où il sera achevé dans la plus intense précipitation
(Marlowe et Diez se relayant pour peaufiner le montage). Pour quel résultat
?
LA
PREUVE PAR SETH
Il arrive que les tournages chaotiques accouchent de chef-d'uvre
impérissable (Apocalypse Now, L'exorciste). Et bien là,
force est de constater que ce n'est pas le cas. Il faut dire ce qui
est : Golgotha n'est pas un très bon film. Il souffre d'un jeu
d'acteur approximatif, et de dialogues très (trop) 'écrits'
(difficile de croire à l'intrigue, donc). Marlowe le renie carrément
(" moi, j'ai prévenu, j'étais juste cadreur sur ce
film "), et Diez, en dépit de ce qui le rattache intrinsèquement
à son histoire, ne peut tout simplement plus le piffer.
Quoiqu'il en soit, à chacun de se faire son propre avis.
Quelques points positifs néanmoins. La mise en scène,
qui emprunte beaucoup au jump-cut d'Aronofsky (nous avons même
scrupuleusement reproduit un plan de " Pi ", en plagiaires
sans vergogne de notre état) est moins balbutiante que celle
de La dernière danse des matriochkas, plus précise, moins
'amateur'. Adaptée à la dualité de notre héros,
elle alterne plans fixe et travellings, plans courts et longs plans
séquences, et baigne dans un clair-obscur du plus bel effet (on
doit cette photo assez chouette à Marlowe qui, même en
pleine dépression, demeure un chef-op assez doué).
Enfin, si il faut poser clairement nos inspirations, si Golgotha fourmille
de clins-d'il à de nombreux films, il contient également
des références aux ouvrages d'Agatha Christie et de Sir
Arthur Conan Doyle. Quant au look sixties de Golgotha, il est clairement
inspiré du personnage de l'anime Hellsing (même si on le
comparait plutôt à John Lennon sur le tournage), mais aussi
de la BD " Requiem, chevalier vampire " (pour le tatouage).
Enfin, nos deux principales sources d'inspiration sont certainement
le tome 2 de la BD " Soda " : " Lettres à Satan
", et le plus grand best-seller de tous les temps, à savoir,
la Bible (découpage en sceaux/chapitres). Quant à nos
amis qui persistent à voir dans chaque production Tribaal le
signe d'un génie adolescent (ha ha ha ha ha ha ha ha), on leur
indique juste que le décor est truffé de 'clefs', à
même d'éclairer l'intrigue. Si ça les plaît
de s'amuser à les chercher.
Ha oui, j'oubliais, pour l'anecdote, vous pouvez entrapercevoir des
rushes du Dogme du bon sens dans le film (les fameuses 'pensées
obscures')
Ugo et Marianne font une apparition. Et même
Marlowe, qui se fait étrangler avec une prise de courant
Peut-être la seule scène qui mérite que le film
soit visionné (avec celle du scalpel, bien sûr). #
NOTE
: Golgotha devrait être disponible dans le courant d'août
sur le site www.allocine.com (dans le cadre de la diffusion des films
du concours). Il sera également présent en bonus sur le
DVD de La dernière danse des Matriochkas (plus d'infos sur les
forums).
Pas de commentaires
pour le moment. |
Golgotha
Court-métrage français (2002-2003). Polar. Durée
: 14 min 30 s.
Réalisation,
production, distribution
Mise en scène, scénario, dialogues, montage : Arthur Molard
Montage, cadrage, chef-opérateur : Jonathan Tarka
Production : Tribaal Films.
Acteur(s)
Arthur Molard : Seth/Golgotha
Clément Faure : doublure Seth/Golgotha
Jonathan Tarka : l'éditeur (off), une victime de Golgotha
Marianne Dumont, Ugo Sias : victimes de Golgotha (non crédités
au générique)
Le scalpel (dans son propre rôle)
Musique
Giorgino
Donnie Darko
Pi
Eraserhead
Wonderful Days
Un
big up à Keyser, sans qui le film n'aurait jamais existé.
On aura ta peau, vieux saligaud.