Marlowe ayant tenté de se suicider à la sortie de 21 grammes ("après un film comme ça" nous a-t-il confié en faisant main basse sur les boîtes de médicaments, "plus la peine d'aller au ciné") et comatant paisiblement à l'hôpital Ste Mangouste de Grézieux les Fromentales, on a été obligé de se rabattre sur Diez pour scribouiller une critique du film de Alejandro González Inárritu. Notre bémol préféré n'étant guère de meilleure humeur que Marlowe, sa critique n'a finalement rien d'une partie de la rigolade. Du sérieux, donc.


On dit que nous perdons tous 21 grammes au moment précis de notre mort...
Le poids de cinq pièces de monnaie.
Le poids d'une barre de chocolat.
Le poids d'un colibri.
21 grammes.
Est-ce le poids de notre âme ?
Est-ce le poids de la vie ?

Ce n'est plus un drame, c'est une tragédie... C'est du concentré de pathos, un uppercut de douleur, une asphyxie de 2h...
Un film aride, suffoquant, servi par une mise en scène, déstructurée, entre la tempête et l'accalmie...
La culpabilité, le deuil, la résignation. Trois tranches de trois vies qui s'entremêlent, où on vit chaque moment comme le dernier (si seulement !) et où tout désir est annihilé par une désespoir profond... Un désespoir qui vous colle aux tripes, tapisse votre cerveau, bloque vos membres ou, au contraire, vous pousse à des comportements extrêmes et inexplicables... On en viendrait presque à comprendre le personnage de Sean Penn : pourquoi mettre au monde un gosse dans un monde comme celui-ci ?

LE CŒUR ET LES TRIPES
Les personnages de 21 GRAMS s'accrochent à la vie comme à une bouée de sauvetage, en buvant la tasse, alors que chaque rebondissement du scénario leur replonge la tête sous l'eau. On finit même par se demander où ils trouvent la force de remonter à la surface alors qu'il serait si simple de se laisser sombrer. C'est probablement cela qu'on doit appeler l'instinct de survie...
Dans cet océan de chagrin où affleurent quelques rares récifs d'espoir, la figure du réalisateur prend alors une dimension de divinité cruelle et manipulatrice : "Pourquoi Dieu nous inflige-t-il ça ?" se demandent les personnages... "Pourquoi le metteur en scène nous inflige-t-il ça ?" pouvons nous logiquement nous demander.
Parce que c'est ça, aussi, la vie. Il faut de la douleur pour profiter des instants heureux... Ici, en l'occurrence, le marasme finit par étouffer tout souvenir de joie, et les réminiscences de bonheur ne font que souligner la détresse présente.

Les acteurs, et c'est le meilleur compliment qu'on peut leur faire, sonnent juste, et prouvent que l'intensité n'est pas l'ennemi de la pudeur.
Un cast de rêve, il faut dire :
* Del Toro est monstrueux de présence
* Naomi Watts sonne juste, sans jamais déraper du côté d'une hystérie superficielle
* on criera pas à la révélation du côté de Sean Penn, vu qu'il rempile chaque année dans des rôles torturés (on pourrait logiquement repenser à sa prestation -oscarisée- de père endeuillé dans Mystic River), tout en soulignant qu'il reste l'acteur américain le plus intègre à ce jour, et que son personnage, condamné d'avance (mais ne le sommes nous pas tous ?), traverse le film comme un fantôme, incapable d'accepter cette transplantation d'un coeur qu'il doit à un tel drame -ici, le rejet de la greffe prend une dimension davantage psychologique que physique-
* les seconds rôles, éclipsés par les premiers, n'en restent pas moins très bons, Charlotte Gainsbourg en tête. On notera également la présence de la jeune héroïne de The Faculty, qui fait deux trois apparitions remarquées et remarquables...

LE PORT DU DEUIL EST OBLIGATOIRE
Il y a, dans 21 GRAMS, une phrase fondamentalement juste : c'est quand le personnage incarné par Naomi Watts compare la perte de ses filles à une amputation... comment continuer à vivre après ça ? Toute personne qui a été amené, dans sa vie, à subir la perte d'êtres qui lui étaient chers, a été légitimement amené à se poser cette question...

Alors on pourra avoir quelques regrets (mieux vaut des regrets que des remords, me direz-vous) : quelques longueurs vers la fin du métrage, une caméra qui s'attarde parfois trop longtemps sur l'indicible et l'innommable - quand Naomi W. apprend la mort de ses filles, on se sent limite voyeur -... Des carences pas des masses handicapantes, vu que, dès le début, on est pris dans cet engrenage infernal qui ne nous lâchera que deux heures plus tard, en état de choc.

21 GRAMS va vous faire vivre l'Enfer par procuration. Vous en sortirez traumatisé et, à posteriori, différent.

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[NOTE DE LA REDACTION : chose assez rare pour être signalée, Diez, par pudeur, peut-être, ne s'est permis qu'un seul petit jeu de mots, dans cette critique (excepté les titres en majuscule). Un jeu de mots subtile, qui passe presque inaperçu, et que vous n'avez peut-être même pas vu... Nous l'en félicitons, sincèrement. Tu es sur la bonne voie du journalisme sérieux, mon grand...]


Lourd, pesant, interminable, douloureux, certes, mais surtout profondément juste et représentatif de l'état de deuil. 21 GRAMS s'impose comme une enclave de détresse dans la bonne humeur de la production actuelle. Quelques grammes de tristesse dans un monde de putes…


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21 GRAMMES (21 grams)

Film américain (2002). Drame. Durée : 2h 04mn. Interdit aux moins de 12 ans
Date de sortie : 21 Janvier 2004
Avec Sean Penn, Benicio Del Toro, Naomi Watts, Charlotte Gainsbourg, Melissa Leo Plus...
Réalisé par Alejandro González Inárritu

Réalisation, production, distribution
Réalisateur : Alejandro González Inárritu
Scénariste : Guillermo Arriaga
Producteur : Alejandro González Inárritu, Ted Hope
Production : Focus Features, U.S.A.
Distribution : ARP Sélection, France,

Acteur(s)
Sean Penn : Paul Rivers
Benicio Del Toro : Jack Jordan
Naomi Watts : Cristina Peck
Charlotte Gainsbourg : Mary Rivers
Melissa Leo : Marianne
Danny Huston : Michael
Eddie Marsan : Révérend John
John Rubinstein : le gynécologue
Clea DuVall : la soeur de Cristina

Equipe Technique
Compositeur : Gustavo Santaolalla
Directeur de la photographie : Rodrigo Prieto
Chef monteur : Stephen Mirrione